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Suisse : Initiative populaire pour « sauver l’or de la Confédération »

La Banque nationale suisse (BNS) s’est séparée entre 2000 et 2008 de plus de la moitié des réserves d’or nationales. Une initiative populaireveut dicter à la banque centrale la politique qu’elle doit mener avec ses réserves de métal jaune. Elle exige trois choses: la BNS ne doit plus vendre d’or; toutes ses réserves de métal jaune doivent se trouver en Suisse; 20% de ses actifs doivent être de l’or.

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Lancée par un comité satellite de l’UDC, dans lequel on retrouve l’ancien conseiller national Ulrich Schlüer, les conseillers nationaux Luzi Stamm, Lukas Reimann et Oskar Freysinger, l’initiative populaire «sauver l’or de la Suisse» veut confiner la liberté d’action de la Banque nationale.

1040 tonnes d’or

La BNS possède 1040 tonnes d’or. Cela place la Suisse au 7e rang mondial, derrière les États-Unis (8134 tonnes), ­l’Allemagne (3384), l’Italie (2452), la France (2435), la Russie (1078) et la Chine (1054). Toutefois, par rapport à sa population, la Suisse occupe la 1re place, avec 4,2 onces (130,6 grammes) par habitant, devant l’Allemagne (1,2 once), la France (1,2 once également) et enfin les États-Unis (0,8 once).

Dans les années 90, la BNS détenait 2590 tonnes. Il a été estimé à l’époque qu’une telle réserve n’était plus nécessaire.

On a donc décidé d’en vendre une partie, en l’occurrence 1300 tonnes. Cette décision est intervenue dans le contexte de la crise des fonds en déshérence. Il était initialement prévu de financer la Fondation Suisse solidaire avec cette opération. Ce projet ayant échoué, la vente se réalisa néanmoins entre 2000 et 2005. Les recettes – 21 milliards de francs – ont été versées pour un tiers à la Confédération et deux tiers aux cantons. Entre 2007 et 2008, une seconde tranche de 250 tonnes a été cédée.

En 1999, le Parlement a supprimé le lien entre l’or et le franc, libérant la BNS de l’obligation de garantir une couverture en or pour les billets en circulation. Entre 2000 et 2008, à la suite de cette décision, la Banque nationale suisse a vendu 1300 tonnes d’or à un prix moyen de 15’604 le kilogramme et 250 tonnes d’or à 27’000 francs.

En 2012, le prix de l’or a augmenté à 53’700 francs. Depuis 2013, les prix du métal jaune ont chuté, passant à 33’900 francs. Actuellement, le prix du kilo oscille entre 36’000 et 38’000 francs. Depuis 2008, la BNS détient 1040 tonnes d’or, soit la septième plus grande réserve mondiale derrière les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la France, la Chine et la Russie. La banque centrale helvétique ne prévoit pas de nouvelles ventes d’or.

Canada et Angleterre

L’essentiel des réserves d’or est stocké dans les coffres de la BNS, selon les indications de cette ­dernière. Mais 100 tonnes, soit 10%, se trouvent dans les coffres-forts de la Banque du Canada et 200 autres tonnes (20%) à la Banque d’Angleterre.

L’initiative exige que ces 300 tonnes soient rapatriées en Suisse. La BNS, la conseillère fédérale Eveline ­Widmer-Schlumpf et la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (CDF) ­répliquent en chœur que la répartition des réserves d’or répond à l’exigence d’une «bonne répartition des risques» et ­garantit «la proximité de plusieurs places de négoce en cas de crise».

Les lieux de stockage sont choisis en fonction de la «stabilité économique et politique» des pays sélectionnés. Plus aucune once d’or helvétique n’est entreposée aux États-Unis. «Les stocks qui se trouvaient autrefois à la Réserve fédérale américaine (Fed) ont été vendus», précise la BNS.

Pour le comité d’initiative, cette stratégie est risquée. «Cet or doit se trouver en Suisse. En cas de crise, il est illusoire de croire qu’on pourra le rapatrier», argumente Luzi Stamm.

Pourquoi 20% d’or?

A fin 2013, les actifs de la BNS représentaient une valeur au bilan de 490 milliards. La part de l’or s’élevait à 35,6 milliards, ce qui équivaut à 7%. On est loin des 20% requis par l’initiative. Cette situation est notamment due au fait que, pour éviter une appréciation massive du franc face à l’euro, la BNS a instauré un cours plancher de 1,20 franc et a acheté d’importantes quantités de devises pour stabiliser le taux de change.

Si, comme l’exige l’initiative, la part de l’or devait grimper à 20%, la BNS devrait en acheter en grand nombre. Eveline Widmer-Schlumpf estime l’ampleur de ces achats à 60 milliards de francs. «Et l’or compte parmi les placements les plus volatils et les plus risqués», ajoute-t-elle. La BNS considère que l’exigence de cette part minimale de 20% aurait une influence directe sur sa politique monétaire. Elle souhaite conserver la marge de manœuvre la plus large possible pour s’adapter à la situation financière internationale et défendre la stabilité des prix.

Interdiction de vente

Or, l’initiative exige que les réserves d’or soient «inaliénables», c’est-à-dire qu’il soit impossible de les revendre. Le comité d’initiative s’étrangle de voir l’évolution du prix du précieux métal depuis les ventes effectuées entre 2000 et 2005. Les 1300 tonnes ont rapporté 21 milliards alors qu’elles auraient valu plus de 60 milliards en 2010 ou 2011. Conclusion du comité: l’or appartenant au peuple, il ne doit pas être bradé.

Là, c’est la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances qui réplique. La BNS est détenue en majorité par les cantons, c’est donc par leur intermédiaire que le peuple peut être considéré comme propriétaire de ses réserves. Or, justement, ce débat intervient au moment où la BNS a dû renoncer à distribuer une part de ses bénéfices à la Confédération et aux cantons, comme elle avait l’habitude de le faire.

En 2013, elle a enregistré une perte de 10 milliards. Celle-ci est notamment due à une moins-value de 15 milliards sur ses stocks d’or, dont la valeur a fortement chuté depuis 2011.

La BNS juge nécessaire de disposer d’une capacité d’action maximale pour réagir aux fluctuations internationales. Cela implique de pouvoir céder des actifs, y compris aurifères, en cas de besoin. Elle précise qu’aucune nouvelle vente d’or est prévue pour l’instant.

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«Le Temps» a organisé un débat avec deux parlementaires opposés sur la question, le conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE), favorable à l’initiative, et le conseiller aux États Luc Recordon (Verts/VD).

Le Temps: Quelle est l’importance de l’or dans la stratégie menée par la BNS?

Luc Recordon: C’est un actif d’une certaine importance qu’il ne faut toutefois pas surévaluer. Les monnaies et les autres métaux précieux sont également des actifs. Comme on a supprimé le lien étroit qui unissait l’or et la monnaie, il est moins décisif. Lui aussi, il ne faut pas l’oublier, subit d’assez fortes variations. Il faut à mon sens un équilibre assez subtil entre ces actifs.

Yves Nidegger: Le problème est que pour la BNS aujourd’hui l’or ne joue plus aucun rôle du tout. La monnaie n’est certes plus liée à l’or mais l’or ne constitue pas moins une réserve solide. A l’époque romaine, pour une once d’or, on pouvait s’acheter une toge pourpre.

Aujourd’hui, pour une once d’or (1200 francs), on a un costume de marque, l’équivalent de la toge pourpre de l’époque. Tout a changé au cours des siècles, sauf la solidité de l’or. Obliger la BNS – c’est l’un des buts de l’initiative – à conserver une réserve d’or d’un certain niveau, c’est éviter de n’avoir au bilan que des euros, c’est-à-dire de la dette, qu’on achète sans limites en im­primant du franc suisse.

Un peu plus d’or, c’est un peu moins de papier. Il est vrai que, comme toutes les valeurs, l’or peut subir des variations parfois fortes, mais il est plus durable.

– Aujourd’hui, l’or représente 7% des réserves de la BNS. L’initiative exige que cette part soit au minimum de 20%. Pourquoi?

Y.N.: Il nous paraît nécessaire d’imposer à la banque centrale un socle au-delà duquel tout n’est pas vaporisable. Avec 20% d’or inaliénable, il reste 80% à disposition pour agir sur les monnaies. Cette restriction n’est pas dramatique.

L.R.: J’aurais pu comprendre que l’initiative demande à la BNS de détenir une certaine part en or, sans fixer de pourcentage contraignant. On ne peut pas graver dans le marbre constitutionnel une telle rigidité pour quelque chose qui, comme c’est le cas de l’or, subit de très fortes variations.

Cela me paraît antinomique. Si cette règle avait existé ces dernières années, la BNS n’aurait pas été en mesure de mener sa politique pour maintenir le cours plancher de 1 franc 20 par euro. Or, je rappelle que cette politique a été voulue notamment pour éviter de pénaliser les exportateurs.

– Pour atteindre ces 20%, la BNS devrait, sur la base des données d’aujourd’hui, acheter pour 60 milliards d’or dans un délai de cinq ans. Est-ce raisonnable?

Y.N.: Il ne s’agit pas de dépenser 60 milliards pour acquérir de l’or, mais de convertir d’autres actifs en or. Je concède que le seuil de 20% est rigide. Mais c’est bien le but visé. Tout le monde n’a pas confiance en l’infaillibilité de la direction de la BNS, quelques limites sont de mise.

– A quoi attribuez-vous ce manque de confiance?

Y.N.: Cette défiance remonte à la saga de l’or qui a accompagné le tournant du siècle et l’abandon de règles constitutionnelles qui existaient auparavant. C’est une longue histoire. On a estimé que la BNS avait trop d’or et qu’il fallait en vendre une partie. Il ne s’agissait pas de vendre à bon prix, mais de vendre à tout prix.

Ainsi, 1300 tonnes ont été mises sur le marché au plus mauvais moment, alors que les prix étaient historiquement bas et que la Banque centrale européenne avait annoncé qu’elle émettrait autant d’euros que nécessaire. Or, on a vu quelle a été ensuite la dégringolade de l’euro. Le moment était mal choisi.

– Ressentez-vous cette défiance, Luc Recordon?

L.R.: Non. J’ai l’impression que, dans ce cas-là au moins, l’UDC n’est pas à l’écoute de la population. En Suisse romande en tout cas, les gens s’intéressent très peu à la BNS sauf lorsqu’il s’agit de stabiliser la monnaie pour ne pas fragiliser les exportations. On en parle aussi lorsque la BNS renonce à verser une part de ses bénéfices aux cantons parce qu’elle a fait de mauvais résultats. Mais c’est tout. Je fais abstraction de l’affaire Hildebrand, qui, me semble-t-il, n’a pas entamé gravement l’image de la banque centrale.

– L’or a-t-il été vendu au plus mauvais moment?

L.R.: Peut-être cette vente s’est-elle faite au mauvais moment. Mais, si l’or a été vendu au début des années 2000, c’est parce qu’il y avait une volonté politique forte de le faire. La BNS a été mise sous pression. Cela illustre bien le fait que le monde politique doit éviter de se mêler des affaires de la banque centrale et qu’il faut rejeter cette initiative. Si on la contraint à détenir une part minimale fixe d’or et que le prix de celui-ci dégringole, on fera courir un risque encore plus grand aux cantons et à la Confédération, qui espèrent chaque année recevoir leur part de bénéfices.

– Cette pression politique était-elle la conséquence de l’affaire des fonds en déshérence au milieu des années 90? Dans un premier temps, la vente de l’or était censée financer une Fondation suisse solidaire qui, avant d’être finalement refusée, devait répondre aux pressions exercées par les États-Unis à l’époque.

Y.N.: La vente de cet or à n’importe quel prix a une double origine. La première est celle que vous évoquez. Elle découle de l’Accord de Washington. Cette opération a été perçue par certains comme la rançon de l’affaire des fonds juifs. On s’est longtemps demandé ce qu’il était advenu de l’or en dépôt américain qui avait été bloqué en 1941.

On a compris maintenant que c’est cette partie-là qui a été vendue sous la pression américaine, puisque la BNS a annoncé qu’il n’y avait plus d’or suisse dans les coffres de la Réserve fédérale américaine, la Fed.

Le second élément, c’est l’arrivée de l’euro. On a alors fixé un taux de change à 1,60 franc, mais on sait maintenant ce qui s’est passé par la suite: il est descendu au-dessous de 1,20 franc avant qu’on décide de le stabiliser à ce niveau. Ces deux éléments ont mis la Suisse sous pression.

– Pourquoi voulez-vous que l’or de la BNS ne puisse pas être vendu, qu’il soit inaliénable?

Y.N.: Déclarer l’or inaliénable sert à constituer un socle auquel adosser le reste du bilan fait de réserves aliénables. Cela sert aussi à brider quelque peu la masse de monnaie qui est fabriquée par la BNS pour acheter l’euro qui constitue ces réserves. Cette politique monétaire ravit sans doute nos exportateurs, mais il faut prendre d’autres réalités en compte.

Notre initiative veut obliger en tout temps la BNS à exclure 20% de ses réserves, l’or, de sa stratégie de fabrication de nouvelle monnaie papier. L’or qui n’est pas un objet spéculatif est ainsi la valeur de réserve.

L.R.: Il est tout à fait pertinent, en certaines circonstances, d’avoir de l’or parmi les actifs afin de les diversifier et de ne pas placer tous ses œufs dans le même panier. Notre politique monétaire étant déjà soumise à des contraintes fortes, je juge donc inutile d’en ajouter encore d’autres sous la forme d’une part minimale détenue en or inaliénable.

– Les adversaires de l’initiative disent que, selon l’évolution de la situation et parce que l’or est déclaré inaliénable, ce métal précieux pourrait représenter 30 à 40% des réserves. N’est-ce pas un risque démesuré?

Y.N.: Si les fondamentaux de­vaient changer de façon durable en ce sens qu’on aurait beaucoup trop d’or et que son prix serait très bas sur une longue période, on pourrait toujours changer la Constitution.

L.R.: Mais vous savez bien qu’une modification de la Constitution prend du temps. Elle surviendrait trop tard par rapport à une situation économique qui évolue beaucoup plus rapidement. Ce qu’on a fait de plus rapide sur le plan parlementaire, c’était le sauvetage d’UBS. Cela s’est fait en quelques mois. Mais il n’a pas été nécessaire de modifier la Constitution et d’organiser une votation populaire.

Y.N.: Si le parlement a la volonté d’intervenir rapidement, il est possible de changer la Constitution en six mois. Dans le cas de figure très pessimiste que j’évoque, tout le monde aurait conscience qu’il serait contre-productif de conserver cet or.

L.R.: J’aimerais encore souligner que la BNS est l’une des banques centrales dont la crédibilité est la plus élevée. J’estime inutile de l’affaiblir avec ce genre de spéculations et une initiative qui consacrerait la mainmise du monde politique sur la gestion de ses affaires.

– L’initiative demande que la totalité de l’or de la Banque nationale soit stockée en Suisse. Cela signifie que les 30% qui sont entreposés dans deux pays partageant nos valeurs, le Canada et la Grande-Bretagne, devraient être rapatriés. N’est-ce pas une vision mythique et surannée de l’or?

Y.N.: En 1941, les États-Unis, que l’on pensait être un pays ami partageant nos valeurs, ont signifié à la Suisse que son or était bloqué. Interrogé en 2003 sur les lieux d’entreposage de l’or de la BNS, le ministre des Finances Kaspar Villiger a répondu: je ne sais pas et je préfère ne pas le savoir.

L’initiative est une réaction à tout cela. L’envie d’avoir ces réserves chez soi est à la fois saine et normale en termes de souveraineté. Si l’on a choisi d’avoir 70% en Suisse, pourquoi alors ne pas y mettre la totalité en Suisse?

L.R.: Il est juste que la majorité se trouve en Suisse. Mais il n’est jamais bon de placer tous ses œufs dans le même panier, même si le risque que l’or détenu en Suisse soit menacé me paraît extrêmement faible.

Y.N.: L’initiative est une manière de rappeler qu’on ne peut pas aveuglément faire confiance à des États qui évoluent, comme on l’a vu avec les États-Unis.

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Évolution du prix d’une once d’or en dollars (Source: Bundesbank )

Le Temps


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