Par Myret Zaki
Suivant les opinions, vous trouverez ceux qui vous diront qu’on évolue dans un environnement d’hyperinflation rampante. Ou ceux qui vous assureront qu’au contraire, on est en déflation, seul danger qu’ils identifient dans un monde qui serait devenu «zéro inflation». Ce que peu vous diront, c’est que nous avons aujourd’hui une inflation et une déflation qui coexistent dans les économies développées.

Janus (pas le nôtre, mais le dieu grec)
Là où se cache l’inflation
L’inflation se cache dans les marchés financiers. La déflation se loge dans l’économie réelle. Configuration déplaisante, mais aisément démontrable.
Depuis que les banques centrales ont recouru à leurs outils non conventionnels pour injecter des liquidités illimitées dans les marchés, ce phénomène inédit de l’inflation financière couplé à la déflation économique s’est installé, sans que les théories économiques conventionnelles ne parviennent à l’identifier.
Ce qui a enfanté cette situation, ce sont les remèdes choisis pour sortir de la crise de 2008 : aux Etats-Unis, l’assouplissement monétaire de la Réserve fédérale (Fed), au départ destiné à relancer l’économie réelle, a prouvé qu’il n’avait d’influence que sur les marchés financiers.
Le discours de la Fed s’en est opportunément accommodé, Ben Bernanke assurant que l’«effet de richesse» créé par l’action sur les marchés entraînerait à son tour la reprise de l’économie réelle.
Mais à l’évidence, la Fed n’a pas pu agir sur le marché de l’emploi ni sur celui de la consommation. Et l’inflation financière, comme en 2008, se manifeste dans les cours des actions, des obligations, des dérivés, des œuvres d’art, ainsi que dans la dette hypothécaire des ménages américains, vulnérable aux taux à dix ans.
En attendant, l’économie réelle, elle, est plus proche d’une déflation. Les chiffres américains de la fin 2013 montrent une faiblesse de l’activité économique. Les créations d’emploi sont au plus bas depuis trois ans. L’inflation officielle, qui ne tient compte ni des actifs financiers ni des prix immobiliers, est à 1,5%.
La baisse du chômage en décembre de 7 à 6,7% s’explique par la sortie des statistiques de 917.000 chercheurs d’emploi découragés. Si on réintègre cette population, exclue de la statistique depuis 1994, le taux de chômage aux Etats-Unis atteint 23%.
Les ventes de détail ajustées de l’inflation sont en déclin, car le consommateur moyen, plus endetté qu’en 2007, sans épargne, et dont le revenu stagne, n’a plus de marge pour tirer la reprise, comme en ont témoigné les faibles dépenses de Thanksgiving. Le PIB américain devrait avoir progressé de 1,8% au dernier trimestre 2013.
S’il convient plutôt de parler de faible croissance que de déflation, il faut garder à l’esprit qu’il y a bien contraction de l’économie réelle par rapport à l’économie financière.
La «croissance» se passe hors de l’économie réelle, si l’on sait que le PIB américain a augmenté de 2.300 milliards de dollars depuis 2009, alors que le S&P 500 a augmenté de 12.300 milliards. Et dans l’économie réelle, les ménages, les entreprises et le gouvernement, aussi endettés qu’avant la crise de 2008, arrivent au même résultat que lors d’une déflation classique : ils ne consomment plus.
Déflation artificielle
Pendant ce temps, la masse monétaire mesurée par M0, M2 et M3 atteint 32.000 milliards de dollars aux Etats-Unis, et même 47.000 milliards (liquidités effectives totales) si l’on ajoute les opérations Repo (prêts de liquidités par les banques centrales en échange de titres).
Face à cette discrépance, que nous dit l’or, censé monter en périodes d’inflation, et qui a corrigé de 35% depuis son sommet de 1.900 dollars l’once en 2011 ? Rien : l’or ne peut plus servir d’indicateur, car ses cours sont manipulés, comme l’a révélé il y a quelques semaines Elke Koenig, patron de la BaFin allemande.
Il faut se poser d’autres questions. Et d’abord, quand avons-nous vraiment été en déflation ? Aux Etats-Unis, entre 1775 et 1915, elle s’est produite 43% du temps; mais depuis 1915, il n’y a eu déflation que 13% du temps.
La déflation «à l’ancienne», c’est cela qui est un mythe ; il n’y a plus que la déflation induite par les bulles financières.